L’AVENIR INDUSTRIEL DE LA RDC – Juin 2023

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Propositions pour une construction industrielle et économique endogène, indépendante, autocentrée et auto déterminée

I. LE SECTEUR INDUSTRIEL DE LA RDC : BREF DIAGNOSTIC

C’est d’abord en termes de modèle économique et de politique industrielle inadaptée qu’il faut aborder le diagnostic de ce secteur.

L’import substitution c’est là la principale orientation de l’industrie congolaise qui est très consommatrice de devises, notamment pour importer des biens d’équipement, assurer le transfert des dividendes et des rémunérations des cadres expatriés ainsi que les importations des matières premières et d’intrants divers.

Sur ce sujet, il faut noter d’abord que tous les produits que nous importons ne nous sont pas utiles, sachant que bon nombre d’entre eux nous avaient été imposés par la colonisation. Certains de ces produits sont par ailleurs de véritables véhicules de la domination culturelle étrangère, que l’on perpétue en acceptant de les fabriquer et de continuer à les consommer : pain, alcool, bière, etc.

L’industrie n’est pas mise au service de l’agriculture. On ne connait pas la production des PME et de l’artisanat en amont du secteur agricole. Aucun encouragement n’existe pour ce type d’entreprise qui aurait pu trouver leur place en milieu rural et contribuer à dynamiser le secteur agricole en créant des emplois afin de lutter contre l’exode rural.

Voici la synthèse des contraintes organisationnelles que ce secteur rencontre :

Le cadre institutionnel

Les diverses interventions de l’Etat dans le secteur industriel relèvent des divers départements et organismes mal coordonnés entre eux. Ces diverses structures sont sans moyens humains et financiers correspondant à leurs responsabilités. Ils engagent des actions fragmentaires, sans chercher vraiment à œuvrer en faveur d’une solution aux problèmes structurels du secteur.

Les sources de financement de l’industrie sont quasi inexistantes.

       Les programmes d’enseignement supérieur non adaptés aux besoins du pays ont besoin des créateurs et des promoteurs nationaux d’entreprises ;

       Les mauvaises liaisons de télécommunication, le mauvais état du réseau routier, de même que les nombreuses déficiences du système de transport faisant supporter à l’industrie des coûts élevés en raison des délais d’acheminement, de la fréquence des pertes, des vols et des détériorations ;

       Une mauvaise politique énergétique laissant subsister des déséquilibres entre la production et la distribution de l’énergie ;

       Le manque de soutien aux entreprises créées et gérées par les congolais ;

       La concentration de l’administration économique dans la capitale défavorisant les entreprises localisées à l’intérieur du pays ;

       Une agriculture ne produisant pas assez pour les besoins de l’agro-industrie ;

       Le marché intérieur congolais est resté très étroit faute d’un transfert d’une bonne partie du surplus économique en direction du monde rural où il fallait créer des revenus afin d’étendre le marché du secteur industriel ;

       La concentration des activités industrielles à Kinshasa, Katanga et le Bas-Congo.

Les conséquences de ces structures économiques pour le pays et pour le peuple

       Une disparité trop grande les revenus et les salaires ;

       Une étroitesse du marché de consommation locale indispensable à l’industrialisation du pays et à son développement global ;

       Des graves problèmes sociaux : Exode rural des jeunes et vieillissement des campagnes, urbanisation insuffisante, insuffisance également de services sociaux, chômage, sous-emploi, malnutrition, logement insalubres, maladies endémiques, etc. ;

       Concentration de la croissance dans quelques secteurs non prioritaires au détriment des secteurs primaires et secondaires ;

       Dépendance financière et technologique de l’extérieur en raison du rôle important laissé à l’investissement étranger dans l’exploitation des ressources naturelles destinées aux marchés extérieurs et dans les infrastructures d’appui à cette exploitation ;

       L’exportation des capitaux par l’importation des matières premières et des biens d’équipement, le service de la dette et le transfert des profits aboutissant en définitive à des sorties nettes de capitaux.

Quels enseignements tirer de cet héritage d’une industrialisation basée sur l’extraversion et la dépendance ?

L’échec du système néo-colonial est d’abord celui d’un modèle économique politiquement choisi par les différents régimes qui se sont succédé au Congo depuis 63 ans.

a)     Au Congo, le secteur productif capitalise est orienté presque exclusivement vers les grandes plantations agricoles, les productions minières et énergétiques destinées au marché mondial. La règle dite de l’avantage comparatif n’a fait que contribuer à accentuer la spécialisation stricte de notre pays dans ces productions. Le flux d’exportation de ces productions obéissent en même temps à la loi de l’échange inégal, c’est-à-dire, qu’il s’accompagnait d’un transfert de valeur dû au fait que les prix de productions des marchandises venant de chez nous sont inférieurs à leur valeur réelle.

b)    La classe régnante en RDC depuis 63 ans s’est toujours préoccupé de rechercher les capitaux à l’étranger, si nous totalisons le coût des voyages à l’étranger de notre Président actuel depuis janvier 2019 à ce jour, ce n’est pas moins de cent millions de dollars, pour aller chercher des investisseurs étrangers. L’arrivée de ces derniers et leur installation, se traduit presque exclusivement par un accroissement de la masse des profits, l’emploi étant élastique pour le taux de salaire de base.

La masse de profits est distribuée entre la caste au pouvoir, les intermédiaires commerciaux et les détenteurs du capital qui en rapatrient une partie substantielle.

c)     Les bénéficiaires locaux du profit, loin d’accumuler productivement, l’amoncèlent ou le consomment sous la forme d’achats de biens de luxe importés. Le salaire est resté faible ; le faible emploi créé ne peut constituer un élément générateur de la demande solvable.

II. L’AVENIR INDUSTRIEL DE LA RDC

 La nouvelle politique industrielle

En ce qui concerne la stratégie d’industrialisation que l’ODEP préconise, trois thèmes centraux doivent être retenus :

ü  S’attaquer directement et sans préalable à la modification des relations économiques avec l’extérieur (sortir de la dépendance)

ü  s’engager dans de nouveaux rapports sociaux internes (réorienter l’allocation du surplus au profit des producteurs

ü  préserver l’écosystème (en s’appropriant la technologie).

1. Reconsidérer toutes les formes de la dépendance

Réduite à l’essentiel, la revendication d’un nouvel ordre économique international peut s’exprimer ainsi : obtenir un relèvement véritable des prix des produits alimentaires et des matières premières afin de disposer de ressources supplémentaires permettant, grâce à l’acquisition de technologies, de financer une nouvelle phase du développement qui serait caractérisée par l’exportation massive de biens manufacturés vers le Nord, lequel devrait alors ouvrir davantage ses marchés nationaux.

Nous inspirant de S. Amin, A. Faire et D. Malkin (1985)[1] nous disons que celte revendication qui constitue pourtant un objectif en apparence commun à l’ensemble des Etats du tiers- monde, n’est rien d’autre qu’une demande d’intégration plus poussée au système mondial. Ce faisant, il vide de son contenu le slogan du « développement endogène ».

Il ne s’agit en vérité de rien d’autre que de justifier idéologiquement une ambition factice conduire un développement par étapes progressives au sein de ce Système pour en attendre à long terme l’indépendance économique.

La logique du raisonnement doit être strictement inversée : définir au préalable les objectifs internes d’un développement réellement autocentré et tourné vers la satisfaction des besoins locaux et, ensuite seulement, examiner les directions vers lesquelles il faudrait orienter l’organisation des relations extérieures afin de favoriser la réalisation de ces objectifs.

Reconsidérer les règles du marché mondial inégales ne signifie pas sortir de ce marché. Il faut, dans tous les cas, éviter des actions où des reformes brutales qui risqueraient d’entraver le processus d’intériorisation en imposant à notre économie des coûts considérables.

Il faut, certes, reconnaître que le théorème de la spécialisation internationale perd de sa validité dans le contexte d’une économie mondiale structurellement inégale, mais pas au point de nier que, dans certaines conditions et pour un certain temps, un pays du tiers monde puisse se trouver face à la nécessité absolue d’importer des intrants (énergie par exemple) et des équipements aux effets « développant ».

La solution à ce problème est bien entendu la plus difficile à trouver. Deux propositions peuvent être avancées.

1.     La régulation de nos exportations sur le niveau des importations absolument indispensables pour la réalisation de la stratégie. En l’état actuel des choses, l’extraversion repose sur une relation contraire : les exportations sont poussées au maximum du tolérable du fait de la contrainte d’endettement externe, et ensuite on s’interroge sur l’usage des ressources obtenues.

Définir des seuils d’ouverture sur l’extérieur sur la base d’une stricte appréciation des besoins internes prioritaires conduirait à briser le cycle infernal de l’endettement.

2.     La création d’une zone privilégiée établie sur le principe de l’entraide réciproque avec d’autres pays africains, par des accords commerciaux et de financement multilatéraux.

Ce type d’accords de coopération Sud-Sud existe, mais la structure de type « marché commun s reste insuffisante, surtout lorsque les complémentarités en facteurs de production restent dérisoires. Elle peut même être préjudiciable à certaines parties, si les écarts dans les niveaux de développement et de revenu engendrent des « sous-impérialisme » établissant des espaces de domination secondaires. Face à cette dérive, il faudra privilégier la formule de développement conjoint « par bassins » ou « par projets régionaux multisectoriels établissant des règles équitables de contribution/rétribution » (O.U.A., 1981).

Aujourd’hui, le Congo-Kinshasa est victime de celte dérive de sous-impérialisme qui tentent certains pays au Sud du Sahara, redoutant l’émergence d’un Congo économiquement puissant, qui deviendrait la principale force économique politique et militaire du continent. Les potentialités du Congo mises en valeur peuvent, en effet, permettre cette puissance. Mais un tel projet politique serait aberrant.

Les pays qui, aujourd’hui, jouent aux petites puissances sous-impérialistes en Afrique (Rwanda, Ouganda) se trompent de projet politique. Celui de Lumumba et Nkrumah et les autres pères du Panafricanisme n’était pas celui-là.

Notre vision est progressiste, elle n’entend pas développer le continent sur bases des tares et des contre-valeurs économiques, politiques et culturelles de l’Occident, mais sur la synthèse culturelle à opérer entre la somme des valeurs positives héritées de l’Occident, de l’Asie, et du principal héritage que nous avons hérité de nos ancêtres : « Toujours privilégier l’être à l’avoir », mettre l’homme Africain au centre du développement du continent. L’homme comme acteur et bénéficiaire du progrès.

Dans ces conditions, ceux qui sont tentés actuellement, armes à la main, de s’imposer comme puissances sous-impérialistes, se trompent de politiques. A terme, ils en subiront des graves conséquences.

2. La stratégie autocentrée consécutive à cette vaste remise en question

Remise en question dans les relations internationales, remise en question des structures sociales internes également avec la remise en cause de l’organisation du monde rural, de la hiérarchie des revenus, des modes de consommation clans les villes…, exprimant une rupture plus fondamentale au niveau des alliances de classes internes.

Les grandes lignes (le la transition sociale qui doit conduire à l’affirmation du pouvoir économique de la paysannerie et du prolétariat urbain s’organisent autour d’un programme de nature révolutionnaire (et qui supposent résolus les problèmes évoqués plus haut au point I et plus loin, au point 3).

1.     Réorganiser l’agriculture vivrière, avec le double but d’améliorer les conditions de vie de la paysannerie pauvre, puis, au fur et à mesure de la hausse de la productivité, de fournir un surplus agricole croissant destiné à la ville pour assurer l’autosuffisance alimentaire.

2.     Le développement de l’industrie tournée vers le marché interne et mis en particulier au service de l’agriculture (fourniture de biens permettant d’élever la productivité et transformation locale des produits alimentaires) et de la satisfaction des besoins de base (habitat, santé, énergie…).

3.     De grandes unités manufacturières et modernes restent indispensables dans les branches à fortes économies d’échelle (projets à étudier et apprécier rigoureusement). Mais elles doivent coexister avec des micro-unités décentralisées, insérées dans le milieu rural, afin notamment d’assurer l’articulation étroite entre travail agricole et travail industriel.

3. L’appropriation technologique pour un autre développement

Le mal développement hérité du mobutisme et perpétué par Joseph KABILA et son successeur actuel est l’aboutissement d’une croissance mimétique et perverse, Mimétique, parce qu’elle repose sur l’imitation des modèles dominants dans les pays opulents du Nord, en particulier dans le domaine de la technologie et dans celui de la consommation. Perverse, parce qu’elle conduit à un accroissement des disparités sociales et régionales et à une destruction des ressources non renouvelables.

Ce constat d’échec est en fait une critique des politiques de modernisation des sociétés traditionnelles préconisées depuis la fin de la dernière guerre mondiale, une critique qui a conduit certains spécialistes à proposer des formules de développement radicalement opposées, proches des populations concernées, fondées sur la mise en œuvre de techniques très simples et respectant les coutumes et les formes d’organisation sociale de type communautaire. Formules dont nous sommes partisans.

La question fondamentale est celle de la transition du mal développement au véritable développement, lequel n’est pas retour en arrière, mais progrès et transformation. Une nouvelle politique ordonnée autour de trois axes :

       L’autonomie des décisions et la recherche de modèles endogènes propres à notre contexte historique, culturel et écologique ;

       La prise en charge équitable des besoins de tous les hommes et de chaque homme : les besoins matériels et immatériels, à commencer par celui de se réaliser à travers une existence qui ait un sens, qui soit un Projet,

       La prudence écologique, c’est-à-dire la recherche d’un développement en harmonie avec la nature (1. Sachs)[2]

L’éco-développement est donc une tentative d’harmonisation entre objectifs économiques, sociaux et écologiques dans le cadre d’une planification qui se veut participative. La stratégie est à définir cas pal’ cas, selon les potentialités du milieu et les besoins spécifiques exprimés les populations.

Les propositions ci-après méritent d’être bien examinées

a)     La promotion d’activités économiques à l’échelle humaine et déployées dans l’espace afin de réduire les inégalités régionales et atténuer les méfaits de la concentration urbaine de l’industrie et des services.

b)    La définition de nouveaux modèles de production et de consommation orientés vers l’auto-suffisance régionale et locale et vers la satisfaction des besoins collectifs.

c)     La recherche de techniques de production non complexes, exigeant une faible spécialisation des taches, utilisant peu de ressources non renouvelables et limitant les apports en capital, produisant peu de déchets polluants…

On peut tenter de résumer les arguments en faveur de technologies appropriées partir d’un tableau montrant leurs avantages comparés aux défauts du modèle industrialiste.

TECHNOLOGIE INDUSTRIALISTE DE TYPE OCCIDENTAL

TECHNOLOGIE APPROPRIEE POUR LA RDC

1. Fonctionnement centralisé aussi bien démographiquement qu’en termes de pouvoir de décision

1.     Fonctionnement décentralisé tourné vers l’autosuffisance régionale et locale

2. Exigence du concours de spécialistes pour les processus de fabrication, d’utilisation et d’entretien

2.     Utilisation de procédés non complexes exigeant une faible spécialisation

3. Nécessité d’un grand apport en capital et d’investissements importants

3.     Limitation des apports en capital

4. Conception pour une production en série et standardisée

4.     Conception pour une production en petites séries

5. Epuisement des ressources non renouvelables

5.     Conservation des ressources naturelles

6. Détérioration des cycles écologiques par la pollution

6.     Protection de l’environnement des éco-systèmes

7. Impossibilité du travail créatif pour les producteurs

7.     Autocontrôle du travail par les producteurs

 

Le raisonnement repose sur l’idée selon laquelle toute société devrait sélectionner ses innovations en fonction de ses ressources et de ses contraintes, et qu’il n’y a aucune raison de penser que des techniques produites en un lieu donné et selon une histoire singulière puisse se trouver adaptées à un tout autre contexte.

La notion d’adaptation ne se limite pas à l’analyse habituelle et simpliste du coefficient capital/travail. Elle implique de prendre en compte une multitude de facteurs propres à l’écosystème et de mobiliser de manière progressiste le savoir technologique propre aux populations de notre pays.

Un tel programme ne relève pas de l’utopie.

Des technologies « appropriées » (dans le double sens du terme : maîtrisées par les utilisateurs et adéquates aux ressources disponibles) ont été expérimentées, aussi bien dans le domaine agronomique que dans ceux de l’habitat, de l’artisanat ou de l’énergie. Elles font l’objet d’inventaires systématiques, allant jusqu’ à la constitution de véritables banques de données.

Mais, en l’état actuel des choses, les expériences de développement intégré et non dépendant demeurent marginales, à la périphérie des noyaux lourds de la technologie dominante. Elles n’affectent pas fondamentalement le modèle d’industrialisation par pôles de croissance, mais apportent seulement des correctifs ponctuels aux effets les plus néfastes résultant de ce modèle.

Le réalisme impose de reconnaître le côté dérisoire de ces expériences parcellaires lorsqu’on les sort de leur contexte microscopique pour les mettre en face du processus de destruction de l’infrastructure scientifico-technique que connaissent les pays du tiers-monde (par le biais de l’exode des cerveaux, par le canal du paiement des brevets, des achats liés, des redevances diverses),

Développement par le bas, recentrage économique, recours aux technologies douces, priorité à la satisfaction des besoins essentiels… ; ces idées maîtresses sont sorties d’une critique en règle de l’apologie libérale du développement dans la dépendance. Elles reposent sur une stratégie rigoureuse de redistribution au profit des masses paysannes et ouvrières, ce que Félix TSHISEKEDI appelle « le peuple d’abord !!! ». Là se situe bien l’enjeu du développement indépendant et pour notre pays, le Congo, et pour notre continent.

 

Pour l’Observatoire de la Dépense Publique (ODEP)

 

Florimond MUTEBA TSHITENGE

Président du Conseil d’Administration

 

 

Contact presse : (+243) 897 580 434

     823 007 510

 



[1] S. Amin, A. Faire et D. Malkin (1985) : L’avenir industriel de l’Afrique, Paris, l’Harmattan, A.C.C.T

[2] 1. Sachs : Stratégie de l’éco-développement, Paris, Ed. Ouvrières, 1980

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