Propositions pour une construction industrielle et économique endogène, indépendante, autocentrée et auto déterminée
I.
LE SECTEUR INDUSTRIEL DE LA RDC : BREF DIAGNOSTIC
C’est
d’abord en termes de modèle économique et de politique industrielle inadaptée
qu’il faut aborder le diagnostic de ce secteur.
L’import
substitution c’est là la principale orientation de l’industrie congolaise qui
est très consommatrice de devises, notamment pour importer des biens
d’équipement, assurer le transfert des dividendes et des rémunérations des
cadres expatriés ainsi que les importations des matières premières et
d’intrants divers.
Sur
ce sujet, il faut noter d’abord que tous les produits que nous importons ne
nous sont pas utiles, sachant que bon nombre d’entre eux nous avaient été
imposés par la colonisation. Certains de ces produits sont par ailleurs de
véritables véhicules de la domination culturelle étrangère, que l’on perpétue
en acceptant de les fabriquer et de continuer à les consommer : pain,
alcool, bière, etc.
L’industrie
n’est pas mise au service de l’agriculture. On ne connait pas la production des
PME et de l’artisanat en amont du secteur agricole. Aucun encouragement
n’existe pour ce type d’entreprise qui aurait pu trouver leur place en milieu
rural et contribuer à dynamiser le secteur agricole en créant des emplois afin
de lutter contre l’exode rural.
Voici
la synthèse des contraintes organisationnelles que ce secteur rencontre :
Le cadre institutionnel
Les
diverses interventions de l’Etat dans le secteur industriel relèvent des divers
départements et organismes mal coordonnés entre eux. Ces diverses structures
sont sans moyens humains et financiers correspondant à leurs responsabilités.
Ils engagent des actions fragmentaires, sans chercher vraiment à œuvrer en
faveur d’une solution aux problèmes structurels du secteur.
Les
sources de financement de l’industrie sont quasi inexistantes.
– Les
programmes d’enseignement supérieur non adaptés aux besoins du pays ont besoin
des créateurs et des promoteurs nationaux d’entreprises ;
– Les
mauvaises liaisons de télécommunication, le mauvais état du réseau routier, de
même que les nombreuses déficiences du système de transport faisant supporter à
l’industrie des coûts élevés en raison des délais d’acheminement, de la
fréquence des pertes, des vols et des détériorations ;
– Une
mauvaise politique énergétique laissant subsister des déséquilibres entre la
production et la distribution de l’énergie ;
– Le
manque de soutien aux entreprises créées et gérées par les congolais ;
– La
concentration de l’administration économique dans la capitale défavorisant les
entreprises localisées à l’intérieur du pays ;
– Une
agriculture ne produisant pas assez pour les besoins de l’agro-industrie ;
– Le
marché intérieur congolais est resté très étroit faute d’un transfert d’une
bonne partie du surplus économique en direction du monde rural où il fallait
créer des revenus afin d’étendre le marché du secteur industriel ;
– La
concentration des activités industrielles à Kinshasa, Katanga et le Bas-Congo.
Les conséquences de ces structures
économiques pour le pays et pour le peuple
– Une
disparité trop grande les revenus et les salaires ;
– Une
étroitesse du marché de consommation locale indispensable à l’industrialisation
du pays et à son développement global ;
– Des
graves problèmes sociaux : Exode rural des jeunes et vieillissement des
campagnes, urbanisation insuffisante, insuffisance également de services
sociaux, chômage, sous-emploi, malnutrition, logement insalubres, maladies
endémiques, etc. ;
– Concentration
de la croissance dans quelques secteurs non prioritaires au détriment des
secteurs primaires et secondaires ;
– Dépendance
financière et technologique de l’extérieur en raison du rôle important laissé à
l’investissement étranger dans l’exploitation des ressources naturelles
destinées aux marchés extérieurs et dans les infrastructures d’appui à cette
exploitation ;
– L’exportation
des capitaux par l’importation des matières premières et des biens
d’équipement, le service de la dette et le transfert des profits aboutissant en
définitive à des sorties nettes de capitaux.
Quels enseignements tirer de cet
héritage d’une industrialisation basée sur l’extraversion et la
dépendance ?
L’échec
du système néo-colonial est d’abord celui d’un modèle économique politiquement
choisi par les différents régimes qui se sont succédé au Congo depuis 63 ans.
a) Au
Congo, le secteur productif capitalise est orienté presque exclusivement vers
les grandes plantations agricoles, les productions minières et énergétiques
destinées au marché mondial. La règle dite de l’avantage comparatif n’a fait
que contribuer à accentuer la spécialisation stricte de notre pays dans ces
productions. Le flux d’exportation de ces productions obéissent en même temps à
la loi de l’échange inégal, c’est-à-dire, qu’il s’accompagnait d’un transfert
de valeur dû au fait que les prix de productions des marchandises venant de
chez nous sont inférieurs à leur valeur réelle.
b) La
classe régnante en RDC depuis 63 ans s’est toujours préoccupé de rechercher les
capitaux à l’étranger, si nous totalisons le coût des voyages à l’étranger de
notre Président actuel depuis janvier 2019 à ce jour, ce n’est pas moins de
cent millions de dollars, pour aller chercher des investisseurs étrangers. L’arrivée
de ces derniers et leur installation, se traduit
presque exclusivement par un accroissement de la masse des profits, l’emploi
étant élastique pour le taux de salaire de base.
La
masse de profits est distribuée entre la caste au pouvoir, les intermédiaires
commerciaux et les détenteurs du capital qui en rapatrient une partie
substantielle.
c) Les
bénéficiaires locaux du profit, loin d’accumuler productivement, l’amoncèlent
ou le consomment sous la forme d’achats de biens de luxe importés. Le salaire
est resté faible ; le faible emploi créé ne peut constituer un élément
générateur de la demande solvable.
II. L’AVENIR INDUSTRIEL DE LA RDC
La nouvelle politique industrielle
En
ce qui concerne la stratégie d’industrialisation que l’ODEP préconise, trois
thèmes centraux doivent être retenus :
ü S’attaquer
directement et sans préalable à la modification des relations économiques avec
l’extérieur (sortir de la dépendance)
ü s’engager
dans de nouveaux rapports sociaux internes (réorienter l’allocation du surplus
au profit des producteurs
ü préserver
l’écosystème (en s’appropriant la technologie).
1. Reconsidérer toutes les formes de
la dépendance
Réduite
à l’essentiel, la revendication d’un nouvel ordre économique international peut
s’exprimer ainsi : obtenir un relèvement véritable des prix des produits
alimentaires et des matières premières afin de disposer de ressources
supplémentaires permettant, grâce à l’acquisition de technologies, de financer
une nouvelle phase du développement qui serait caractérisée par l’exportation
massive de biens manufacturés vers le Nord, lequel devrait alors ouvrir
davantage ses marchés nationaux.
Nous
inspirant de S. Amin, A. Faire et D. Malkin (1985)[1] nous disons que celte
revendication qui constitue pourtant un objectif en apparence commun à
l’ensemble des Etats du tiers- monde, n’est rien d’autre qu’une demande
d’intégration plus poussée au système mondial. Ce faisant, il vide de son
contenu le slogan du « développement endogène ».
Il
ne s’agit en vérité de rien d’autre que de justifier idéologiquement une
ambition factice conduire un développement par étapes progressives au sein de
ce Système pour en attendre à long terme l’indépendance économique.
La
logique du raisonnement doit être strictement inversée : définir au préalable
les objectifs internes d’un développement réellement autocentré et tourné vers
la satisfaction des besoins locaux et, ensuite seulement, examiner les
directions vers lesquelles il faudrait orienter l’organisation des relations
extérieures afin de favoriser la réalisation de ces objectifs.
Reconsidérer
les règles du marché mondial inégales ne signifie pas sortir de ce marché. Il
faut, dans tous les cas, éviter des actions où des reformes brutales qui
risqueraient d’entraver le processus d’intériorisation en imposant à notre
économie des coûts considérables.
Il
faut, certes, reconnaître que le théorème de la spécialisation internationale
perd de sa validité dans le contexte d’une économie mondiale structurellement
inégale, mais pas au point de nier que, dans certaines conditions et pour un
certain temps, un pays du tiers monde puisse se trouver face à la nécessité
absolue d’importer des intrants (énergie par exemple) et des équipements aux
effets « développant ».
La
solution à ce problème est bien entendu la plus difficile à trouver. Deux
propositions peuvent être avancées.
1. La
régulation de nos exportations sur le niveau des importations absolument
indispensables pour la réalisation de la stratégie. En l’état actuel des
choses, l’extraversion repose sur une relation contraire : les exportations
sont poussées au maximum du tolérable du fait de la contrainte d’endettement
externe, et ensuite on s’interroge sur l’usage des ressources obtenues.
Définir
des seuils d’ouverture sur l’extérieur sur la base d’une stricte appréciation
des besoins internes prioritaires conduirait à briser le cycle infernal de
l’endettement.
2. La
création d’une zone privilégiée établie sur le principe de l’entraide réciproque
avec d’autres pays africains, par des accords commerciaux et de financement
multilatéraux.
Ce
type d’accords de coopération Sud-Sud existe, mais la structure de type «
marché commun s reste insuffisante, surtout lorsque les complémentarités en facteurs
de production restent dérisoires. Elle peut même être préjudiciable à certaines
parties, si les écarts dans les niveaux de développement et de revenu
engendrent des « sous-impérialisme » établissant des espaces de domination
secondaires. Face à cette dérive, il faudra privilégier la formule de
développement conjoint « par bassins » ou « par projets régionaux
multisectoriels établissant des règles équitables de contribution/rétribution »
(O.U.A., 1981).
Aujourd’hui,
le Congo-Kinshasa est victime de celte dérive de sous-impérialisme qui tentent
certains pays au Sud du Sahara, redoutant l’émergence d’un Congo économiquement
puissant, qui deviendrait la principale force économique politique et militaire
du continent. Les potentialités du Congo mises en valeur peuvent, en effet,
permettre cette puissance. Mais un tel projet politique serait aberrant.
Les
pays qui, aujourd’hui, jouent aux petites puissances sous-impérialistes en
Afrique (Rwanda, Ouganda) se trompent de projet politique. Celui de Lumumba et Nkrumah
et les autres pères du Panafricanisme n’était pas celui-là.
Notre
vision est progressiste, elle n’entend pas développer le continent sur bases
des tares et des contre-valeurs économiques, politiques et culturelles de
l’Occident, mais sur la synthèse culturelle à opérer entre la somme des valeurs
positives héritées de l’Occident, de l’Asie, et du principal héritage que nous
avons hérité de nos ancêtres : « Toujours privilégier l’être à l’avoir »,
mettre l’homme Africain au centre du développement du continent. L’homme comme acteur
et bénéficiaire du progrès.
Dans
ces conditions, ceux qui sont tentés actuellement, armes à la main, de
s’imposer comme puissances sous-impérialistes, se trompent de politiques. A
terme, ils en subiront des graves conséquences.
2. La stratégie autocentrée
consécutive à cette vaste remise en question
Remise
en question dans les relations internationales, remise en question des
structures sociales internes également avec la remise en cause de
l’organisation du monde rural, de la hiérarchie des revenus, des modes de
consommation clans les villes…, exprimant une rupture plus fondamentale au
niveau des alliances de classes internes.
Les
grandes lignes (le la transition sociale qui doit conduire à l’affirmation du
pouvoir économique de la paysannerie et du prolétariat urbain s’organisent
autour d’un programme de nature révolutionnaire (et qui supposent résolus les
problèmes évoqués plus haut au point I et plus loin, au point 3).
1. Réorganiser
l’agriculture vivrière, avec le double but d’améliorer les conditions de vie de
la paysannerie pauvre, puis, au fur et à mesure de la hausse de la
productivité, de fournir un surplus agricole croissant destiné à la ville pour
assurer l’autosuffisance alimentaire.
2. Le
développement de l’industrie tournée vers le marché interne et mis en
particulier au service de l’agriculture (fourniture de biens permettant
d’élever la productivité et transformation locale des produits alimentaires) et
de la satisfaction des besoins de base (habitat, santé, énergie…).
3. De
grandes unités manufacturières et modernes restent indispensables dans les
branches à fortes économies d’échelle (projets à étudier et apprécier
rigoureusement). Mais elles doivent coexister avec des micro-unités
décentralisées, insérées dans le milieu rural, afin notamment d’assurer
l’articulation étroite entre travail agricole et travail industriel.
3. L’appropriation technologique pour
un autre développement
Le
mal développement hérité du mobutisme et perpétué par Joseph KABILA et son
successeur actuel est l’aboutissement d’une croissance mimétique et perverse,
Mimétique, parce qu’elle repose sur l’imitation des modèles dominants dans les
pays opulents du Nord, en particulier dans le domaine de la technologie et dans
celui de la consommation. Perverse, parce qu’elle conduit à un accroissement
des disparités sociales et régionales et à une destruction des ressources non
renouvelables.
Ce
constat d’échec est en fait une critique des politiques de modernisation des
sociétés traditionnelles préconisées depuis la fin de la dernière guerre
mondiale, une critique qui a conduit certains spécialistes à proposer des
formules de développement radicalement opposées, proches des populations
concernées, fondées sur la mise en œuvre de techniques très simples et
respectant les coutumes et les formes d’organisation sociale de type
communautaire. Formules dont nous sommes partisans.
La
question fondamentale est celle de la transition du mal développement au
véritable développement, lequel n’est pas retour en arrière, mais progrès et
transformation. Une nouvelle politique ordonnée autour de trois axes :
– L’autonomie
des décisions et la recherche de modèles endogènes propres à notre contexte
historique, culturel et écologique ;
– La
prise en charge équitable des besoins de tous les hommes et de chaque homme :
les besoins matériels et immatériels, à commencer par celui de se réaliser à travers
une existence qui ait un sens, qui soit un Projet,
– La
prudence écologique, c’est-à-dire la recherche d’un développement en harmonie
avec la nature (1. Sachs)[2]
L’éco-développement
est donc une tentative d’harmonisation entre objectifs économiques, sociaux et
écologiques dans le cadre d’une planification qui se veut participative. La
stratégie est à définir cas pal’ cas, selon les potentialités du milieu et les
besoins spécifiques exprimés les populations.
Les
propositions ci-après méritent d’être bien examinées
a) La
promotion d’activités économiques à l’échelle humaine et déployées dans
l’espace afin de réduire les inégalités régionales et atténuer les méfaits de
la concentration urbaine de l’industrie et des services.
b) La
définition de nouveaux modèles de production et de consommation orientés vers
l’auto-suffisance régionale et locale et vers la satisfaction des besoins
collectifs.
c) La
recherche de techniques de production non complexes, exigeant une faible
spécialisation des taches, utilisant peu de ressources non renouvelables et
limitant les apports en capital, produisant peu de déchets polluants…
On
peut tenter de résumer les arguments en faveur de technologies appropriées
partir d’un tableau montrant leurs avantages comparés aux défauts du modèle industrialiste.
TECHNOLOGIE
INDUSTRIALISTE DE TYPE OCCIDENTAL |
TECHNOLOGIE
APPROPRIEE POUR LA RDC |
1.
Fonctionnement centralisé aussi bien
démographiquement qu’en termes de pouvoir de décision |
1.
Fonctionnement décentralisé tourné vers
l’autosuffisance régionale et locale |
2.
Exigence du concours de spécialistes pour les
processus de fabrication, d’utilisation et d’entretien |
2.
Utilisation de procédés non complexes exigeant une
faible spécialisation |
3.
Nécessité d’un grand apport en capital et
d’investissements importants |
3.
Limitation des apports en capital |
4.
Conception pour une production en série et
standardisée |
4.
Conception pour une production en petites séries |
5.
Epuisement des ressources non renouvelables |
5.
Conservation des ressources naturelles |
6.
Détérioration des cycles écologiques par la
pollution |
6.
Protection de l’environnement des éco-systèmes |
7.
Impossibilité du travail créatif pour les
producteurs |
7.
Autocontrôle du travail par les producteurs |
Le
raisonnement repose sur l’idée selon laquelle toute société devrait sélectionner
ses innovations en fonction de ses ressources et de ses contraintes, et qu’il
n’y a aucune raison de penser que des techniques produites en un lieu donné et
selon une histoire singulière puisse se trouver adaptées à un tout autre
contexte.
La
notion d’adaptation ne se limite pas à l’analyse habituelle et simpliste du
coefficient capital/travail. Elle implique de prendre en compte une multitude
de facteurs propres à l’écosystème et de mobiliser de manière progressiste le
savoir technologique propre aux populations de notre pays.
Un
tel programme ne relève pas de l’utopie.
Des
technologies « appropriées » (dans le double sens du terme : maîtrisées par les
utilisateurs et adéquates aux ressources disponibles) ont été expérimentées,
aussi bien dans le domaine agronomique que dans ceux de l’habitat, de
l’artisanat ou de l’énergie. Elles font l’objet d’inventaires systématiques,
allant jusqu’ à la constitution de véritables banques de données.
Mais,
en l’état actuel des choses, les expériences de développement intégré et non
dépendant demeurent marginales, à la périphérie des noyaux lourds de la technologie
dominante. Elles n’affectent pas fondamentalement le modèle d’industrialisation
par pôles de croissance, mais apportent seulement des correctifs ponctuels aux
effets les plus néfastes résultant de ce modèle.
Le
réalisme impose de reconnaître le côté dérisoire de ces expériences
parcellaires lorsqu’on les sort de leur contexte microscopique pour les mettre
en face du processus de destruction de l’infrastructure scientifico-technique
que connaissent les pays du tiers-monde (par le biais de l’exode des cerveaux,
par le canal du paiement des brevets, des achats liés, des redevances
diverses),
Développement
par le bas, recentrage économique, recours aux technologies douces, priorité à
la satisfaction des besoins essentiels… ; ces idées maîtresses sont
sorties d’une critique en règle de l’apologie libérale du développement dans la
dépendance. Elles reposent sur une stratégie rigoureuse de redistribution au profit
des masses paysannes et ouvrières, ce que Félix TSHISEKEDI appelle « le
peuple d’abord !!! ». Là se situe bien l’enjeu du développement
indépendant et pour notre pays, le Congo, et pour notre continent.
Pour l’Observatoire de la Dépense Publique (ODEP)
Florimond
MUTEBA TSHITENGE
Président du Conseil d’Administration
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